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mercredi 21 mai 2008

Accidents médiatiques – Accidents anonymes – Et la Justice ?

Villiers le Bel

Le dimanche 25 novembre 2007, deux adolescents de 15 et 16 ans, circulant sur une moto non homologuée, sur la commune de Villiers Le Bel, trouvaient la mort dans une collision avec une voiture de police. Les émeutes qui suivirent cet accident sont dans toutes les mémoires.

Nous devions apprendre rapidement que les jeunes circulaient sur une mini-moto (en fait, une Kawasaki KX 80, semblerait-il), et que le véhicule était volé, ce qui était faux.

L’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) écarte rapidement la responsabilité des policiers, en affirmant que la voiture de police circulait au pas, et que les importants dommages constatés sur le véhicule de police s’expliquaient par des dégradations à coup de barres de fer, commises après l’accident.

J’ai beau être d’un naturel circonspect, interrogé sur France-Inter, je réfutais ces deux affirmations. L’IGPN devait me donner raison en revenant sur leurs déclarations. Actuellement leur version est une vitesse d’environ 40 km/h pour la voiture de police (ce qui paraît être un strict minimum), et de 70 km/h pour la Kawasaki (ce qui me semble une vitesse très élevée).

A ce jour, plus de nouvelle, l’enquête se poursuit lentement…


Vienne

Le vendredi 18 avril 2008, un camion coupait la route de deux motards à Vienne (38). Le chauffeur du poids lourd effectuait une manœuvre interdite, et avait un taux d’alcoolémie de 0,42 mg par litre d'air expiré au lieu de 0,25 (équivalent à 0,84 g d’alcool par litre de sang, au lieu de 0,5). Les deux motocyclistes étaient deux jeunes policiers, se rendant à leur travail.

Le jour même, François Fillon, premier ministre, a fait part de sa « solidarité » et de sa « sympathie » envers la police, et a « assuré l'ensemble des forces de sécurité de sa détermination à lutter contre le fléau de l'alcool au volant ». L’après-midi c’est au tour de Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, qui rencontre les familles et les collègues des deux victimes au commissariat de Vénissieux. Elle déclare : « L'origine de ce drame prouve la légitimité de notre lutte contre l'alcoolisme ». A noter que rien ne prouve que le chauffeur incriminé soit alcoolique.

Dans un premier temps, Franck Rastoul procureur de la République de Vienne, avait déclaré : « Le secteur est limité à 50 km/h, mais en voyant l'état du camion et de la moto, on peut penser objectivement que la moto ne roulait pas à 50 km/h, mais je n'ai pas d'éléments objectifs techniques pour le dire » (Le point.fr). Il a également indiqué que des expertises étaient en cours, en précisant que : « Il n'est pas certain que l'on puisse déterminer à coup sûr la vitesse de la moto et en tout cas cela peut prendre beaucoup de temps ».

Probablement sous la pression de ces hautes interventions politiques, en se fondant sur un témoignage qui semble douteux, il déclarait ensuite que le respect de la vitesse limite (50 km/h) était un fait établi.

Selon une procédure accélérée que je n’ai jamais rencontrée dans un autre accident de moto, le chauffeur était jugé dès le lundi suivant, soit le premier jour ouvrable après l’accident.

Le procureur Franck Rastoul, a requis six ans de prison dont deux avec sursis et une interdiction définitive d'exercer sa profession en dénonçant des faits d'une « gravité absolue » et une « irresponsabilité totale » de la part du prévenu.

Le chauffeur a été condamné à 5 ans de prison, dont deux ans ferme, et à une annulation de son permis de conduire avec interdiction de le repasser pendant trois ans.
Le procureur insatisfait a déclaré qu’il comptait faire appel.


Les anonymes

Un jugement récent. Un automobiliste avec une alcoolémie de 2,05 g/l, refuse la priorité à une moto. Le jeune couple, pilote et passagère de la moto sont tués. L’automobiliste, un retraité, a été condamné à 1 an de prison ferme et à l'annulation de son permis avec interdiction de le repasser pendant 5 ans.

Dans un autre accident, un chauffeur poids lourd, probablement sous l’influence du cannabis, a coupé la route à une moto lors d’une manœuvre de tourne à gauche, hors agglomération. Là aussi le jeune couple de motocyclistes est décédé. Après deux ans et demi de procédure, et malgré les obstacles dressés par des gendarmes, le père du motocycliste, avec un courage obstiné, a obtenu la reconnaissance que son fils n’avait pas commis de faute. Le chauffeur routier a été condamné à une peine exceptionnellement lourde : 3 ans de prison dont 18 mois ferme.

Un autre accident identique : manœuvre de tourne à gauche d’un poids lourd en agglomération, (conducteur peut-être sous l’influence du cannabis). Le motocycliste percute la remorque et décède. Sur la foi de trois témoignages indirects (aucun témoin n’a assisté à l’accident), le procureur classe l’affaire sans suite pour vitesse excessive de la moto. La famille du motard poursuit actuellement la procédure.

Encore un autre accident similaire, mais hors agglomération. Manœuvre de tourne à gauche d’un poids lourd. Décès du motocycliste arrivant en face, malgré une tentative d’évitement. Là aussi le procureur classe sans suite, en se fiant à une « expertise » dont la simple lecture atteste d’un réel manque de sérieux. Et là encore, la famille se bat courageusement pour que la vérité soit reconnue.


Commentaires

Concernant l’accident de Villiers le Bel, avant de déterminer des responsabilités à l’accident, il faudrait connaitre et étudier les circonstances de ce drame. Donc je suis dans l’incapacité d’émettre un quelconque avis sur ces responsabilités.

Pour l’accident de Vienne, même sans tenir compte de la manœuvre interdite et de l’alcoolémie, et quelque soit la vitesse de la moto, le conducteur du poids lourd aurait du percevoir l’arrivée de la moto (accident de nuit et apparemment en ligne droite). Aussi ma commisération se porte, sans la moindre retenu vers le pilote et le passager de la moto.

Cependant, il me semble difficile de considérer que le chauffeur du poids lourd ait réellement été jugé avec équité. Les circonstances de l’accident semblent nettement plus complexe que ce que l’on a bien voulu nous dire.

Dès le jour de l’accident, la plupart des médias, sans aucune réserve, avait déclaré coupable le conducteur.
Les propos du ministre de l’intérieur étaient un message clair tant vis-à-vis de l’opinion que des magistrats.
Le procureur l’a parfaitement compris, en proférant des propos qui n’auraient jamais été tenus si les motocyclistes avaient été de simples salariés.
Le juge, même si il a modéré son jugement par rapport aux réquisitions, a refusé d’entendre l’unique témoin. Tout cela semble avoir ébranlé les journalistes, qui, au ton des articles, se demandent si un jugement éclair, sans chercher à connaître toutes les circonstances de l’accident, est réellement équitable.


Egalité et Vérité

Juxtaposer ces différents drames permet de tirer deux conclusions.

La première : si des policiers sont en cause dans un accident, tout sera fait pour préserver le dogme comme quoi un fonctionnaire n'est pas un homme comme les autres : il ne peut commettre ni faute, ni erreur.

Une communication basée sur des « erreurs » comme dans l’accident de Villiers le Bel, ou une justice expéditive, comme dans l’accident de Vienne, est contre-productive. Cela accrédite le fait qu’il existe une justice à deux vitesses. Cela ternit autant l’image de la justice, que celle des forces de l’ordre.

La seconde, est que lorsqu’un motard est tué, si celui-ci ne fait pas partie d’une « profession protégée », il sera souvent présumé coupable d’excès de vitesse.

Les motards accidentés, les familles de motards décédés, demandent qu’un coupable soit sanctionné. Ils demandent réparation de leur préjudice.
Mais avant toute chose, ils exigent de connaître la vérité, ou tout au moins que celle-ci soit recherchée, sans préjugé, et que chacun soit traité également, et équitablement.

C’est le devoir et l’honneur de la justice.


Gilles
Expert privé

3 commentaires:

gs a dit…

Bonjour,

Je suis journaliste et motard. En poste à Lyon, Je travaille pour un média national. J'ai traité l'accident de Vienne. A ce sujet , votre analyse me paraît très pertinente. Il est évident que le chauffeur a commis une erreur, mais ses juges l'ont sanctionné sans disposer de toutes les données. Le procureur - je l'ai moi-meme entendu- avait considéré qu'une expertise concernant la vitesse de la moto était necessaire. Bizaremment , il y a finalemement renoncé avant d'audiencer l'affaire en urgence. Le dépanneur qui a pris en charge la suzuki - fort de ses 30 années d'expérience - m'a affirmé, au vu de l'état de la moto, que son conducteur était à l'évidence en excès de vitesse. L'état de la cabine du camion semble corroborer cette hypothèse.
Il faut savoir que le point d'impact de l'accident se trouve sur une deux fois deux voies en ligne droite, portion de route dont le tracé incite à prendre de la vitesse. On peut s'interroger sur la dangerosité de ce carrefour où deux personne ont trouvé la mort il y a un an.
Le décès de ces deux jeunes policiers est tragique - l'un deux était père de trois enfants - et en tant que motard ,je me sens encore plus concerné . Mais je déplore comme vous la médiatisation excessive de cet accident. Elle aurait pu se comprendre si les deux policiers avaient été en intervention, ce qui n'était pas le cas. Sachez que des policiers m'ont eux même confié leur étonnement devant un tel traitement. J'ai plaidé en ce sens auprès de ma rédaction et j'ai en partie obtenu gain de cause. La justice n'a de sens que si elle est rendu de façon sereine et équitable. Cordialement.

Anonyme a dit…

Bravo pour votre article. Excellente analyse, mesurée, sobre...
je ne m'attendais pas à cela en ouvrant l'article sur un site de motards.

(je suis moi-même motard ; j'utilise une (vieille) Africa Twin 650 très fréquemment, pour mon travail.

Anonyme a dit…

j'ai moi meme pu juger de l'interet que porte la justice a la parole d'une (ou d'un) motarde .J'ai eu un grave accident de moto ,un trateur m'a coupé la route , pas de temoin de l'accident et l'agriculteur a deplacé son vehicule avant l'arrivée du 1er temoin. resultat classé sans suite .Les gendarmes n'ont pas trouvé bizar que ce mec bouge son tracteur avant meme de venir voir si j'etais pas en train de me vider de mon sang ou d'appeller les secours (c'est le temoin qui l'a fait) .Quand a mon assurance elle m'a dit de prendre un avocat car elle n'avait rien a redire .La conclusion que j'en ai tirer (et jai pu y reflechir longtps pendant mon hospitalisation et ma reeducation) si vous voulez etre motard soyez le pour les flics .