Le problème évoqué est limité à la rédaction du procès-verbal. Ce document est la pièce centrale, sur laquelle les assureurs s’appuieront pour déterminer les responsabilités, et donc les indemnisations.
Si l’accident entraîne un procès, le procès-verbal fera foi « jusqu'à preuve du contraire ». En cas de procès mal rédigé, incomplet, ou partial, le motard victime aura beaucoup de difficulté à faire reconnaître son absence de responsabilité. D’autant que les magistrats n’aiment pas déjuger les forces de l’ordre.
Préambule
Seulement, dans toutes les professions, on trouve le meilleur et le pire, policiers et gendarmes ne dérogent pas à la règle. A noter que le fonctionnaire qui rédige mal un procès-verbal, sera peut-être le premier à sauter à l’eau pour sauver la vie d’un de ses concitoyens…
Les procès-verbaux à problème
Il semble bien que certains enquêteurs perçoivent cette tâche comme une inutile paperasserie. C’est probablement ce qui amène à écarter les dépositions de témoins d’une phase de l’accident, ou étant intervenus immédiatement après le choc. Plusieurs témoins nous ont déclaré que les enquêteurs leur ont demandé si ils avaient vu le déroulement de l’accident. Comme ils ont répondu que non, mais qu’ils sont intervenus juste après, ils se sont vu répondre qu’il était alors inutile de prendre leur déposition. Souvent leurs coordonnées n’ont même pas été relevées. Cela peut nous priver d’informations capitales : position d’avertisseurs de changement de direction, ou de gyrophares, emplacement exact des véhicules avant leur déplacement, manœuvre d’un véhicule juste avant le choc, attitude ou déclaration des protagonistes, etc…
- Pas de recherche de la zone de choc.
- Le plan n’indique pas la position finale du corps du pilote de la moto.
- Plus rarement, la position finale de la moto n’est pas non plus indiquée.
- Certaines mesures de distance ne sont pas notées.
- Parfois ces mesures sont erronées.
- Aucune précision n’est demandée aux protagonistes, ou aux témoins, lors de leurs dépositions.
Etc…
Des procès-verbaux partiaux
Pourquoi la rédaction de certains procès-verbaux indique clairement que ses rédacteurs ont déjà attribué la responsabilité de l’accident au motocycliste ?
Nous pouvons risquer trois explications.
1. Il s’agit d’un simple parti pris : « les motos roulent toujours trop vite ». Cette attitude ne demande pas plus de commentaire, elle relève simplement de la bêtise.
2. Très fréquemment, le motard blessé est rapidement transporté à l’hôpital après l’accident. Policiers ou gendarmes se retrouvent face à un automobiliste en état de choc, qui n’a pas vu (ou plus exactement, pas pris conscience), de l’arrivée de la moto. Pour cet automobiliste, la seule explication est que la moto roulait très vite.
Par un phénomène d’empathie, les enquêteurs vont adhérer à l’explication d’un automobiliste sincère, d’autant qu’ils n’ont pas la version du motocycliste.
Cela amènera une rédaction du PV favorable à l’automobiliste (je ne pense pas que dans tous les cas, cela soit fait consciemment). Cela est particulièrement visible quand la description de l’accident coïncide exactement aux déclarations de l’automobiliste en cause.
3. Il semble surprenant que l’on puisse ne pas éprouver de compassion envers la victime d’un accident. Pourtant ce phénomène a été expliqué par des théories de psycho-sociologie. Il s’agit notamment de : « la croyance en un monde juste » (Lerner et Simmons, 1966). Le postulat est que l’on croit que ce qui arrive à quelqu’un d’autre est juste, c’est-à-dire que la victime est à l’origine de son dommage : « Si il arrive quelque chose de mal à quelqu’un, c’est qu’il s’est mal conduit, et si je me comporte bien, il ne peut rien m’arriver ». Cette théorie a été validée par de nombreuses recherches, et cette croyance est largement partagée, mais à des degrés très divers. Il existerait un lien entre cette croyance et une propension à se conduire de façon autoritaire et à avoir une grande confiance envers toute figure d’autorité. A priori, cette structure mentale ne doit pas être rare chez les forces de l’ordre.
Le procès-verbal partial se reconnaît dans la présentation des faits. Les témoignages défavorables seront mis en valeur. La moto sera qualifiée de « puissante », ou « de forte cylindrée ».
Dès la première page du PV, dans la rubrique « Nature des faits », on éprouve l’impression que les enquêteurs ont assisté à l’accident :
« Monsieur CÉLAIRE Jacques pilotait sa Kawasaki à une vitesse excessive à l’intérieur du carrefour […] ». (PV Police)
Dans la rubrique : « Infractions susceptibles d’être relevées » est noté :
Défaut de maîtrise de la vitesse d’un véhicule eu égard aux circonstances – art. L 1er, R11-1, R232 du code de la route. (PV Gendarmerie).
Cette qualification fourre-tout est bien pratique, car elle peut être appliquée à tous les véhicules impliqués dans un accident.
Lorsque cette « Infraction susceptible d’être relevée » est notée, les assureurs l’utilisent sans honte pour refuser toute indemnisation au motard.
Voici une conclusion d’un procès verbal, par ailleurs correctement rédigé, qui ne peut relever que d’un parti pris. La vitesse de la moto était de l’ordre de 35 à 40 km/h :
« Il s’avère compte tenu des circonstances et des constatations que, [le pilote de la moto], conduisait à une vitesse supérieure à 50 km/h » (PV Police).
Procès-verbaux manipulés ?
Certains détails, ou certaines conclusions dans des procès-verbaux sont tellement étranges, qu’il est possible de penser que cela ne relève pas que de simples erreurs de la part des fonctionnaires.
Si ces suspicions étaient avérées, nous serions dans des cas très graves, où un fonctionnaire assermenté, présenterait ou modifierait les faits, afin de nuire à une des partie, ou, plus souvent, pour en protéger une autre.
Si c’était le cas, il ne serait pas certain que policiers ou gendarmes qui se livreraient à cette manipulation se rendraient compte qu’ils flirteraient avec une qualification criminelle telles que le faux en écriture publique.
Où alors, ils seraient parfaitement conscients de leur impunité. En effet, il est quasiment impossible de prouver l’acte intentionnel, ou la volonté de nuire. De plus, ils se savent protégés par leur hiérarchie, par les parquets, et souvent par les juges. Il semble exister en France une règle non écrite qui exige qu’un policier ou un gendarme ne puisse, ni se tromper, ni être malhonnête.
On ne peut émettre que des hypothèses sur les raisons qui pourraient amener à de telles manipulations, et elles semblent être de trois ordres :
1. La moins probable, mais que j’ai soupçonné dans un cas : une phobie de la moto. Ce problème psychologique serait probablement à rechercher dans le passé du fonctionnaire.
2. Le fonctionnaire connaîtrait une des parties. Cela peut se produire particulièrement dans les zones rurales, c’est pour cela que la grande majorité de ces PV douteux le sont en zone gendarmerie. Il est possible d’imaginer également qu’il puisse y avoir une transaction financière de la part d’un conducteur soucieux de ne pas avoir d’ennui. Je pense que si cela c’était produit, le cas serait rare.
3. Un autre cas, qui pourrait être plus fréquent, serait que le fonctionnaire reçoive des pressions. Lorsqu’un des protagonistes de l’accident possède des relations influentes, ces pressions pourraient venir d’un supérieur hiérarchique, d’un élu politique, voir d’un parquet. Cependant, dans la grande majorité des cas c’est le maire d’une commune qui pourrait se trouver à l’origine des ces hypothétiques sollicitations.
Le maire pourrait avoir deux raisons pour intervenir :
- Masquer la responsabilité de la commune (point noir non traité, panneaux ou visibilité masqués par de la végétation…).
- Un des protagonistes de l’accident a, de par ses fonctions, un poids électoral important dans sa commune (chef d’entreprise, agriculteur…). Cette motivation ne pourrait se retrouver pratiquement qu’en zone de gendarmerie.
Exemples d’éléments rencontrés dans des PV, et qui permettraient d’envisager une manipulation dans sa rédaction :
- Photo avec une légende erronée. Exemple, l’automobile d’un protagoniste de l’accident est photographiée stationnée sur une bande d’arrêt d’urgence. La légende prétend qu’il s’agit de la position normale de marche du véhicule. (Gendarmerie).
- Lors d’un accident de nuit et sans témoin, la femme prétend être la conductrice. Les enquêteurs effectuent un dépistage d’alcoolémie sur la conductrice déclarée, mais pas sur son mari qui lui prétend être passager (Gendarmerie- Il est à noter que cette gendarmerie m’a également interdit d’examiner la moto accidentée).
- Description d’une végétation basse en séparation de deux chaussées, alors qu’elle était haute le jour de l’accident (Police)
- Photo prise en entrée de virage la où il y avait peu de gravillons, alors que l’accident s’est produit en milieu de virage, là où étaient les gravillons. Cela ne pouvait être une erreur, le blessé et la moto étant toujours positionnés dans leur position finale (Gendarmerie).
- Vitesse de la moto calculée à plus de 200 km/h, grâce à une règle de trois (!). En plus il est permis de se demander si il n’y aurait pas eu une subornation de témoin (Gendarmerie).
- Photo représentant un angle mort inexistant dans un véhicule, lors d’une reconstitution d’accident (Gendarmerie).
- Déclaration du motocycliste lui étant très défavorable, recueilli par le fonctionnaire alors que ce motocycliste se trouve sur son lit d’hôpital, sous morphine.
- Gendarmerie encore, ils ont "reconstitué" les 300 derniers mètres du parcours du motard à l'aide de leur « véhicule de dotation », pour en arriver à la conclusion suivante : « De part une vitesse élevée de la moto, il est tout à fait probable que la conductrice du VL n’ait pu avoir le temps de percevoir la moto arriver avant de débuter sa manœuvre ». Pour valider cette conclusion il aurait fallu que le motocycliste, ainsi que les gendarmes avec leur « véhicule de dotation », soient sortis d’un giratoire pour aborder un droite-gauche bien, serré, pour franchir ensuite une ligne droite de 150 m à une vitesse supérieure à 270 km/h !
- En se fondant sur un témoignage très douteux, et en éliminant les témoignages favorables au motocycliste, les enquêteurs inventent une trajectoire insensée à la moto (Gendarmerie – peut-être une explication, l’automobiliste travaillait à la mairie de la commune où est installé la gendarmerie).
- Enfin, mais là il s’agit peut-être d’une énorme bourde. Gendarmes : « Ces informations nous permettent d’établir les conclusions suivantes : […] alors que M. "N" [témoin] parcourait une distance d’environ 500 m […], le motocycliste parcourait une distance d’environ 2 500 m ». Bien entendu, il n'était pas précisé que M."N" avait déclaré : « Je devais rouler entre 70 et 80 km/h ». Ce qui fait que la moto roulant 5 fois plus vite, était à une vitesse moyenne comprise entre 350 et 400 km/h, sur une petite route de campagne sinueuse.
Conclusions
La qualité des procès-verbaux pourrait être grandement améliorée. La première étape consisterait à étudier une procédure commune à la police et à la gendarmerie. Cette procédure amènerait à traiter le lieu d’un accident comme une « scène de crime », en relevant minutieusement chaque indice, et son emplacement. L’étude de cette procédure pourrait être confiée aux accidentologues de l’INRETS (Institut National de REcherche sur les Transports et leur Sécurité), en collaboration avec des policiers et gendarmes. Ce serait la garantie d’avoir une procédure fiable, efficace et réalisable sur le terrain.
Les psychologues de L’INRETS pourraient également former les fonctionnaires à recueillir les témoignages. Les témoins ne déclarant pas forcément toutes les informations pertinentes, mais le plus souvent les faits qui les ont le plus marqués.
De plus, les fonctionnaires ont tendance à retranscrire les déclarations (parfois peu claires) en fonction de leur propre compréhension. Ils y mettent des termes techniques qu’il est peut probable que le témoin utilise (feux tricolores, indicateurs de changement de direction…). Cela peut modifier sensiblement la « tonalité », voir le sens d’un témoignage.
Sur quelques PV de police, témoins et protagonistes sont sommairement interrogés sur les lieux de l’accident, puis sont convoqués ultérieurement pour une déposition plus complète. Cette méthode est particulièrement intéressante, au niveau des divergences entre les déclarations.
Il faudrait un gros effort de formation des enquêteurs. De plus, la fonction de ces enquêteurs mériterait d’être valorisée, car outre les connaissances, cette mission demande des qualités de rigueur, de méthode, de déduction, et de perspicacité.
De meilleurs PV faciliteraient la détermination des responsabilités. Cela pourrait également fournir la matière pour des études d’accidentologie à grande échelle.
En ce qui nous concerne, en cas d’accident, le premier conseil est de se reporter aux recommandations de notre article : Après un accident, agir rapidement pour conserver ses droits
Et en cas de doute lors de l’élaboration du procès-verbal, ne pas hésiter à recourir à un conseil d’un professionnel du droit.
Gilles
Expert privé